- DALÍ (S.), écrivain
- DALÍ (S.), écrivainDALÍ SALVADOR (1904-1989), écrivainPeintre, certes, mais aussi poète, cinéaste, théoricien de la peinture et de l’idée qu’il se fait de la «connaissance», prodigieux metteur en scène de soi-même, tel est Dalí. Son évolution après le congé que lui signifie Breton au nom du surréalisme et la ténacité exemplaire avec laquelle il assumera la fonction sociale du bouffon jettent rétrospectivement, il faut en convenir, quelque doute sur son activité surréaliste elle-même. Chez un être aussi remarquablement doué pour la fable, la frontière entre sincérité et simulation, entre personne et personnage a toujours été difficile à tracer.Poète, Dalí publie La Femme visible (1930) et L’Amour et la mémoire (1931). L’inventaire de ses obsessions et de ses fantasmes y est dressé avec une précision maniaque, d’une voix volontairement monocorde, qui refuse le lyrisme et opte pour le constat. Ce n’est pas ici le lieu de parler de Babaouo, scénarios inédits (1932) ni des scénarios du Chien andalou (1929) et de L’Âge d’or (1930), écrits en collaboration avec Buñuel. Mais, dans Le Surréalisme au service de la révolution et dans Minotaure , Dalí réhabilite le modern style, exalte l’architecture «comestible» de son compatriote Gaudí, découvre les sculptures «molles» des bouches de métro, lance «l’objet surréaliste à fonctionnement symbolique». C’est surtout par la découverte de la «méthode paranoïa-critique» qu’il s’impose comme théoricien à un groupe surréaliste étonné et un peu méfiant. Esquissée dans La Femme visible , cette «méthode» sera précisée dans La Conquête de l’irrationnel (1935) et Le Mythe tragique de l’Angélus de Millet (vers 1935); elle recevra, au cours de la période postsurréaliste, d’inquiétants prolongements. La paranoïa se caractérisant par une systématisation des idées délirantes si poussée qu’on a pu l’appeler «folie raisonnante», il s’agit, pour Dalí, de laisser proliférer le délire, mais en pleine conscience, afin d’aboutir au «discrédit total du monde de la réalité». L’intérêt que portent Breton et ses amis aux idées de Dalí s’explique aisément, car sa «méthode» se présente comme un instrument de connaissance suprarationnelle et comme une machine de guerre au service du désir, dans sa lutte contre la suprématie du principe de réalité. (La thèse de Lacan sur la paranoïa semble d’ailleurs apporter un début de confirmation aux thèses du jeune Catalan.) C’est, d’abord, autour de L’Angélus de Millet que Dalí enregistre la prolifération de ses idées délirantes. Sous le simulacre anodin de L’Angélus , la méthode paranoïa-critique décèle l’attente angoissée d’une agression sexuelle imminente. Et, reliant le tableau de Millet aux amours de la mante religieuse, le délire dalinien décrète que l’agression sexuelle ne s’achèvera qu’avec la dévoration du mâle par la femelle, du fils par la mère. Il s’agirait donc là d’une variante maternelle du mythe du père dévorateur, qu’illustrent la légende de Saturne et (selon Dalí) celle de Guillaume Tell. Dalí reconnaîtra plus tard qu’au moment même où il l’exposait à ses amis surréalistes il ne savait pas exactement en quoi consistait sa «méthode». De fait, il n’est pas impossible qu’un extraordinaire don verbal ait suffi à dissimuler l’absence de toute pensée cohérente.Exclu du groupe surréaliste en 1939, Dalí n’a jamais cessé de proclamer qu’il continuait à incarner le surréalisme véritable. Mais il prétend l’insérer dans une tradition, celle du catholicisme romain, de l’art de la Renaissance et de la contre-révolution. Il reste, il est vrai, fidèle à ses fantasmes, mais il met de plus en plus fortement l’accent sur la note scatologique, et déclare avec cynisme que l’or — dont il tient à rappeler qu’il est, en psychanalyse, l’équivalent des excréments — constitue pour lui la valeur suprême. S’emparant de l’anagramme forgé par Breton — Avida Dollars —, il s’en fait un titre de noblesse. Son seul livre important, durant cette période, est son autobiographie: La Vie secrète de Salvador Dalí (Secret Life of Salvador Dalí , 1942), curieux document psychopathologique. Rien, ou presque, ne manque au tableau: convulsions hystériques, hallucinations, simulations, dédoublement, mutilations masochistes et agressions sadiques, narcissisme aigu, exhibitionnisme, fascination de l’excrémentiel et tendances cannibales. Il y a là un tableau presque complet des troubles de la personnalité et des perversions de l’instinct sexuel. Trop complet peut-être. Et le lecteur est amené à se demander s’il s’agit bien d’une véritable autoanalyse, ou d’un récit de psychanalyse-fiction. On ne saurait guère douter, pourtant, de la violence, chez Dalí, de ce qu’il dit éprouver comme le conflit œdipien, traumatisme de la naissance et régression aux stades anal et oral. Mais le désir d’étonner et de scandaliser à tout prix a sans doute conduit l’auteur à quelques enjolivements et à quelques hyperboles. Avec Visages cachés (Hidden Faces , 1944), Dalí s’est aussi essayé au roman: laborieux exercice qui consiste à plaquer, sur une prose digne de George Ohnet, des images violentes, fabriquées sur le modèle maldororien.Dans Comment on devient Salvador Dalí (1973), l’écrivain réutilise les mêmes matériaux autobiographiques, mais en les coulant dans le moule américain des livres qui se proposent au public comme des manuels de réussite. Comment mieux dire que, pour Avida Dollars, l’art s’efface désormais derrière le pastiche et la promotion de soi?
Encyclopédie Universelle. 2012.